Ces mots sont devenus synonymes de luttes et d’espoir pour les femmes iraniennes depuis la mort de la jeune étudiante kurde âgée de 22 ans, Jina Mahsa Amini tuée par la police des mœurs -sic- le 16 septembre 2022 suite à son arrestation pour «port de vêtements inappropriés». Ces mêmes mots, et ce n’est pas un hasard, sont les derniers de la bande dessinée «Les Filles du Kurdistan, une révolution féministe» parue aux éditions Steinkis dans la collection Témoins du monde. Avec des tableaux en noir et blanc volontairement austères de Clément Baloup, Mylène Sauloy une journaliste, globe-trotteuse et militante ayant une longue expérience des points chauds de la planète, signe le scénario. Elle prolonge ainsi un précédent documentaire de 2016 déjà consacré à ces mêmes combattantes engagées extrêmement courageuses, lesquelles défient à la fois le régime dictatorial d’Erdogan en Turquie, celui plus sanguinaire encore de Bachar el-Assad en Syrie, sans oublier le bourbier irakien et donc son corollaire les islamistes dont Daesh… Faire jaillir de l’espérance de ce chaos géopolitique invraisemblable, avec alliances aussi incertaines que fluctuantes, l’ombre de la Russie soucieuse de ses intérêts dont son seul port stratégique en Méditerranée, est un défi incroyable: à la fois obtenir une reconnaissance internationale pour le peuple kurde actuellement éclaté entre divers états, mais aussi parallèlement construire des structures démocratiques et paritaires pour cette nouvelle nation en devenir, le Kurdistan. De fait pratiquement la quadrature du cercle car remettant en question des siècles de patriarcat et de préceptes religieux dans une région du monde objet de tant d’enjeux entre grandes puissances et/ou potentats locaux. Pour nous plonger au plus près de ce bouillonnement, ce roman graphique dresse les portraits croisés de plusieurs de ces femmes admirables, ce qui s’avère à la fois une magistrale leçon d’Histoire contemporaine et, mieux encore, nous permet de découvrir une réalité trop souvent ignorée: celle d’un projet social et politique éminemment réfléchi, où résistance au quotidien, armée au besoin, se double d’une énergie démesurée pour bâtir un «projet de société paritaire, écologique et multiconfessionnelle» et ce, alors que les pays occidentaux préfèrent détourner les yeux et démissionner. Des témoignages individuels remarquables pour esquisser une histoire collective, celle «d’une révolution féministe au cœur du Moyen-Orient». Un album complété par un dossier fourni d’une trentaine de pages pour en savoir plus sur ce sujet. Un livre indispensable à lire au plus vite.
les chroniques de jean dessorty 